De passage au centre de Lausanne, je chine un Paul Auster à la librairie L’Univers : La Musique du Hasard. Je viens de quitter ma colocation pour vivre seul dans un vaste une pièce et demie, au chemin de Chandieu (tout un programme).
C’est un mardi de juillet. Je commence le roman après le petit déjeuner. Après deux heures de lecture, je me fais un café. Puis je lis une heure. Je me pointe à la Migros pour acheter un truc vite grillé. Je termine mon repas vers 13h15. La Musique du Hasard sous le bras, je descends dans le magnifique et peu fréquenté parc de Denantou, au bord du lac Léman. Assis, debout, couché, vautré sur un banc, j’enchaîne les chapitres. Mon sac à dos me sert d’oreiller. Au loin, les sirènes des bateaux de la CGN sifflent leur arrivée au port d’Ouchy. Ma montre indique 19h quand je tourne la dernière page du roman.
Cette journée vous semble banale? Au contraire, elle est historique. Pour la première fois de ma vie, j’ai terminé un roman en un jour ! Dans ma tête, les pensées se bousculent. Si j’avale un roman par jour, combien en lirai-je en un an? Trois cents soixante-cinq? Non, le rythme serait trop infernal. Alors disons deux cents. Deux cents romans ! Un océan d’histoires m’attend.
En attendant, je glisse La Musique du Hasard dans ma bibliothèque. Je me sens comme un ouvrier qui a fini sa journée. Direction la Brasserie du Château pour m’écluser une ambrée.
Vingt-cinq ans plus tard, le bilan est sans appel : je n’ai jamais renouvelé mon exploit. Mes deux cents romans par année n’étaient qu’un rêve. Aujourd’hui, je carbure à dix, peut-être quinze malheureux romans par année. Une seule et unique fois dans ma vie, j’ai ouvert un roman le matin et atteint la dernière page avant le coucher du soleil.
Ce texte d'Eugène a été publié le 6 janvier 2023 dans La Région.